Laure Patas d’Illiers était informaticienne au ministère des Finances (Chargée de la coordination interdirectionnelle et interministérielle dans le domaine des systèmes d’information). Maintenant à la retraite, elle a deux passions : l’écriture et… l’espéranto.

Nous souhaitions la rencontrer pour qu’elle nous fasse découvrir cette langue, un peu obscure pour nous, mais avec ce virus, pas facile de se déplacer, de se retrouver… Nous avons finalement choisi de réaliser une interview via Zoom… mais la technique informatique s’est ri de notre informaticienne en nous offrant un flux vidéo de piètre qualité au niveau de l’image. Vous devrez donc vous contenter d’une retranscription textuelle, d’extraits audio et de photos (capture d’écran).

Place des Arts: Comment avez-vous découvert l’espéranto ?

Laure Patas d’Illiers : Qu’est-ce qu’on fait quand on reçoit un tract dans la rue? On ne le jette pas par terre, on le met dans sa poche et puis on l’oublie.

Et puis, à un moment, je l’ai retrouvé, ce tract, je me suis dit : « Tiens, oui, l’espéranto, ça serait une bonne idée ». Et, longtemps après, à l’occasion d’une réunion de travail, j’ai discuté avec des informaticiens d’autres ministères et j’ai évoqué l’espéranto. Il y en a un du ministère de l’Intérieur qui m’a dit « oui, moi, je parle l’espéranto ». Ah bon? C’est devenu concret et du coup, ça a attisé ma curiosité.
Et je me suis mis à apprendre l’espéranto. Au bout d’un an, j’avais un niveau bien plus élevé qu’on ne peut obtenir en un an dans n’importe quelle autre langue

PdA: Ce n’est la langue officielle d’aucun pays. Comment et quand est-elle apparue ?

LPI :Elle a été créée en 1887, à une époque où on créait beaucoup de langues. La création de langues est une activité assez fréquente. Finalement, il y a des centaines de langues qui ont été créées… Pour ce qui nous intéresse, il s’agissait d’un jeune, Zamenhof, qui habitait dans une ville de l’Empire russe et qui avait remarqué que dans sa ville, il y avait des communautés qui ne se parlaient pas et qui se détestaient. Et son idée, un petit peu naïve peut être, c’était que si au moins ces personnes partageaient une même langue, elles pourraient au moins se comprendre et ça faciliterait les relations entre les communautés. Du coup, il a créé cette langue et il l’a améliorée toute sa vie.
Et puis, cette langue a pris tout simplement ; il y a des personnes qui l’ont utilisée, qui ont trouvé pratique de l’utiliser. Dès 1905, il y a eu un congrès qui a réuni des espérantistes de toute l’Europe et qui a fait la preuve que la langue fonctionnait. Et depuis, la langue s’est répandue dans le monde entier, sur tous les continents. Actuellement, c’est la seule langue qui a été inventée de toutes pièces et qui fonctionne. Par contre, il y a toutes sortes de langues construites : par exemple, l’hébreu actuel est une langue construite, l’indonésien est une langue construite. Il ne faut pas imaginer qu’il y a une telle distinction entre les langues soi-disant naturelles et les langues soi-disant construites. L’espéranto, maintenant, évolue comme une langue naturelle. Il y a des nouveaux mots qui apparaissent, des expressions, etc. Le hiatus n’est pas aussi marqué.

PdA: Alors, l’espéranto est une langue vivante. Combien de personnes le parlent-elles et qui sont-elles?

LPI : C’est toujours difficile d’évaluer le nombre de personnes qui parlent une langue, d’ailleurs quelle que soit la langue.… Dans l’Union européenne, par exemple, la majorité des Européens parlent très mal anglais et ne sont pas capables de comprendre un journal télévisé ou de discuter politique facilement. De même pour le français, ce n’est pas parce que quelqu’un habite dans un pays officiellement francophone qu’il parle bien français. Et inversement, il y a aussi beaucoup de personnes qui maîtrisent admirablement le français tout en habitant dans un pays qui n’est pas francophone.
Donc, au niveau international, il y a eu des études qui ont été faites sur les langues en général et l’espéranto en particulier. Le chiffre le plus couramment retenu c’est 3 millions ; 3 millions à peu près sur le monde entier. Il y a des milliers d’étudiants qui l’étudient actuellement en Chine et il y a environ un million de personnes qui ont commencé à l’apprendre avec l’application Duolingo. Ils ont commencé, mais on ne sait pas très bien s’ils continuent ou pas.
Les personnes qui parlent espéranto, on les trouve sur tous les continents. Au début, c’était en Europe centrale et maintenant, on en trouve également beaucoup au Brésil et un peu partout en Afrique, etc.

PdA: A Bercy ou au ministère en général, y a t il une structure réunissant les passionnés d’espéranto?

LPI : Pas encore. Nous sommes plusieurs personnes à parler l’espéranto sur toute la France et nous avons le projet de créer une section espéranto dans le cadre de l’Association culturelle des finances (ATSCAF). Le processus s’est arrêté à cause des circonstances sanitaires. Mais on a bien l’intention de le relancer dès que les circonstances seront un peu plus favorables.
Ce que nous avons l’intention d’organiser, ce sont des conférences pour faire connaître l’espéranto, des cours d’espéranto à Bercy (ou ailleurs), des expositions sur l’espéranto, de proposer par exemple, un journal bilingue pour le kiosque des journaux en libre-service, qui est à Bercy. On envisage aussi pour Place des Arts d’offrir des livres en espéranto ou bilingues ou sur l’esperanto pour prêter aux adhérents, des musiques également. Donc, on a beaucoup de projets.

PdA: Quelle place l’espéranto a-t-il dans la culture : édition, musique, cinéma, théâtre… ?

Tintin en espéranto

Une édition de Tintin au Tibet en espéranto

LPI : L’espéranto est une langue qui a plus d’un siècle et l‘un des premiers textes qui a été écrit en espéranto était un poème. Donc, dès le départ, c’était une langue pensée pour la culture et la littérature. Actuellement, il y a à peu près trois livres par semaine qui sont sortent. Ils sont vendus par la librairie en ligne de l’Association mondiale. Des recueils de nouvelles. Des romans policiers. Des biographies. On a également des bandes dessinées: Tintin au Tibet par exemple.. On a également des journaux, bien sûr. On a un journal littéraire : Beletrta Almanako ( l’Almanach des belles lettres) qui publie trois fois par an un épais recueil de poésie, de prose et d’essais. On a un autre journal littéraire qui s’appelle Literatura Foiro (La foire littéraire) qui est publié tous les deux mois et qui propose également des poèmes, des nouvelles, des essais. Un journal mensuel qui s’appelle Monato (ça veut dire mois) et qui parle de l’actualité. Ce qui est particulier dans Monato, c’est que les articles sont issus de différents pays et à chaque fois, c’est un espérantiste du pays qui parle de l’actualité de son pays, de son point de vue. Et on se rend compte, par exemple, que l’actualité du Japon vue par un Japonais, n’a rien à voir avec ce qu’on peut voir dans des journaux français. On a également un journal qui s’appelle Le monde de l’espéranto, qui est bilingue, qui est destiné aux Français.
En musique on notamment a une radio en ligne qui s’appelle Muzaiko, ainsi que des CD, des DVD. On a toute une culture espérantiste.

PdA: Vous avez écrit un recueil de nouvelles en français qui s’appelle Vétilles. Est ce qu’il existe une traduction en esperanto?

es, recueil de nouvelles

Vétilles, recueil de nouvelles de Laure Patas d’Illiers

LPI : Oui, j’ai effectivement écrit un recueil qui réunit une vingtaine de nouvelles (Commande en ligne «Vétilles» [7,99€ version papier – 5,99€ ePub]). Elles sont toutes en français. Je l’ai publié chez The Book Edition qui, comme son nom l’indique… est français. Il y a quelques nouvelles que j’ai traduites en espéranto, que j’ai publiées dans des journaux comme ceux que j’ai cités. Mais ce n’est pas un but en soi, parce qu’en fait, j’ai remarqué que quand je fais les traductions, je ne traduis pas, j’adapte parce qu’une traduction, c’est toujours une adaptation. Et en particulier, le public espéranto est très, très international, donc on ne peut pas dire tout à fait les mêmes choses. Il faut vraiment faire attention quand on traduit à ce que ça soit facilement compréhensible par tout le monde hors de France. C’est justement un des intérêts de l’espéranto. C’est toucher du doigt ces différences culturelles et d’avoir des contacts profonds avec des personnes d’autres cultures sans avoir de barrière de langue. J’ai publié environ une quinzaine de nouvelles en espéranto, cette fois dans différents journaux à diffusion mondiale, et je continuerai bien sûr à écrire en français et en espéranto, mais pas les mêmes choses.

PdA: Quels sont vos projets tant au niveau de l’espéranto que de l’écriture ?

LPI : Alors en ce moment, grâce au confinement, c’est merveilleux. J’ai plein de temps et je suis en train d’écrire un recueil de nouvelles, cette fois en espéranto. Et ce sont des nouvelles de science-fiction. Un style que j’aime bien et qui est très adapté au public mondial de l’espéranto. Il y a moins d’aspects culturels. Mes nouvelles portent sur les grands classiques de la science-fiction : les voyages dans l’espace, les voyages dans le temps avec les paradoxes, les rencontres avec des extraterrestres de toutes sortes, avec des antennes ou pas, etc. Et des sujets beaucoup plus actuels qui sont, par exemple, les dangers écologiques qui touchent notre planète. J’ai également écrit sur l’intelligence artificielle puisque par mon métier, je connaissais un peu le sujet et j’avais envie de le faire connaître. C’est un peu de la vulgarisation mais romancée. Quels sont les enjeux de l’intelligence artificielle ? Pour montrer à la fois les risques, mais aussi toutes les promesses qu’il y a derrière.
Sinon j’anime des rencontres culturelles espéranto, des ateliers d’écriture. Avec une équipe, on a créé un spectacle sonore en espéranto qu’on aimerait bien un jour arriver à terminer. Je fais tout cela dans le cadre de l’association d’espéranto d’île de France.

Entretien réalisé par Murielle Pascal et Joël Coatmeur le 17 novembre 2020.

Bonus : extraits audio

Extrait n° 1 : l’espéranto et la culture

Extrait n° 2 : «Vétilles» : un recueil de nouvelles

Info pratiques

A bercy, l’espéranto est présent : l’intranet de la Direction générale des entreprises (DGE) s’appelle Kompanio, soit entreprise en espéranto !

L’espéranto sur Internet :

Mise à jour : 19 septembre 2021